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ENTRETIEN. Antisémitisme : « La parole et les actes contre les juifs se libèrent » (Ouest France)

Alors qu’un rapport sur l’entrisme des Frères musulmans a été présenté en conseil de défense mercredi 21 mai 2025, en France, Dov Maïmon, chercheur au Jewish People Policy Institute à Jérusalem, docteur en islamologie et conseiller du gouvernement israélien sur les relations avec le monde musulman, et Didier Long, ancien moine bénédictin converti au judaïsme, consultant, écrivain et théologien français, publient La Fin des juifs de France ? (éd. Le Cherche Midi). Épluchant les statistiques, multipliant les sources, ils dressent un constat alarmant estimant à 150 000 – sur 440 000 au total, le nombre de juifs en danger immédiat en France face à l’antisémitisme, en particulier depuis l’attaque terroriste du Hamas en Israël le 7 octobre 2023.

La fusillade qui a coûté la vie à deux membres de l’ambassade israélienne aux États-Unis fait-elle craindre une réplique en France ?

Dov Maïmon. Après la Shoah, nous avons connu un état de grâce qui a duré à peu près sept décennies durant laquelle la parole antisémite a été bâillonnée. Elle avait trop honte d’exister. La cocotte-minute a commencé à se relâcher à partir des années 2000 et aujourd’hui la parole et les actes se libèrent, avec la caisse de résonance des réseaux sociaux. Quand un état ne fonctionne plus les juifs sont le premier fusible qui saute.

Didier Long. Aujourd’hui les États-Unis ne sont plus un refuge pour les juifs. Au suprématisme du Klu Klux Klan qui criait : « les juifs ne nous remplaceront pas » en 2017 lors des émeutes de Charlottesville ont succédé les attentats de Pittsburg l’année d’après qui ont fait 11 morts. Pas un attentat suprémaciste n’a été commis depuis sans que son auteur n’écrive un manifeste antisémite comme à El Paso en 2019 ou Buffalo en 2022. Mais depuis le 7 octobre 2023 et le massacre d’Israéliens par le Hamas, c’est-à-dire les frères musulmans palestiniens, à la frontière de Gaza, dès le 11, et alors qu’aucune riposte israélienne n’avait encore eu lieu un vent d’antisémitisme a soufflé sur les campus. Il est en réalité une manipulation, comme à Science Po Paris, par l’association Students for Justice in Palestine.

C’est-à-dire ?

Didier Long. SJP est un réseau d’associations étudiantes américaines fondé en 2001 à l’Université de Californie à Berkeley par Hatem Bazian professeur de droit islamique. Dès 12 octobre 2023, SJP a organisé une « Journée nationale de résistance », appelant à des manifestations sur plus de 200 campus pour dénoncer l’occupation israélienne et exprimer leur solidarité avec la Palestine. Ce qu’a dénoncé l’American Jewish Committee qui fédère les communautés juives américaines. Il n’est donc pas surprenant que l’attentat de Washington se soit passé à la sortie d’une soirée organisée par l’American Jewish Committee, sorte de Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), devenu la bête noire de ces antisémites des campus. Il a suffi d’un esprit fragile manipulé par le discours de haine ambiante ou des complices pour passer à l’action.

Dov Maimon : « Trois sources sont à la racine de la menace antisémite. L’extrême droite, l’extrême gauche et l’islamisme. » Le Cherche Midi.

Qui menace les juifs aujourd’hui ?

Dov Maïmon. L’antisémitisme est protéiforme. Parfois on reproche aux juifs leur religion, parfois d’être riches, d’être pauvres, parfois de ne pas être intégrés, parfois de l’être trop, parfois d’être génocidaires et de tuer des enfants palestiniens. Trois sources sont à la racine de cette menace mondiale. L’extrême droite, l’extrême gauche et en France, principalement, les islamistes. Quand un état ne fonctionne plus ou mal, les juifs sont le premier fusible qui saute. L’action de nos hommes politiques change la donne. Encouragés par certains discours, certains sont prêts à passer à l’acte. Et en coulisse, des puissances comme la Russie, la Chine, l’Iran, le Qatar, à coups de billets, ont intérêt à faire avancer l’antisémitisme pour déstabiliser l’ordre social et les institutions régaliennes.

A combien estimez-vous le nombre de juifs menacés en France ?

Didier Long. D’après des données françaises et israéliennes et plusieurs rapports, dont certains des renseignements que nous avons consultés, sur les 440 000 Français juifs qui vivent en France, 150 000 sont en danger immédiat, dans les grandes agglomérations et leurs périphéries. Ces 0,6 % de la population française subissent 60 % des agressions religieuses. C’est dix fois plus que pour les musulmans, alors que ces derniers sont vingt fois plus nombreux. Il faut savoir aussi que, pour les uns et les autres, on estime que 80 % des victimes renoncent à porter plainte. Comment prendre le risque de le faire, contre parfois des voisins, sachant que peu plaintes aboutissent à des peines ? D’après plusieurs autres données que nous avons croisées, comme la vente de nourriture Halal, l’attribution des prénoms masculins, des sources démographiques et internationales, les chiffres estimés de l’immigration illégale, la France compte 15 % de musulmans. Ce taux devrait grimper à 20-25 % d’ici à 2050, soit environ 19 millions de citoyens.

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Dov Maïmon. Dans ces périphéries urbaines, les juifs qui restent, parce qu’ils ne peuvent pas partir, sont en train souffrir. On leur arrache leur mezouzah, signe distinctif juif affiché à l’entrée des maisons. Des croix gammées sont taguées à leur porte, ils sont agressés. Ils vivent dans la peur et savent que personne ne sera là pour les protéger. Ces gens doivent vivre cachés, ce qui n’est pas digne de la République.

« Les choses vont de mal en pis »

Quel regard portez-vous sur le rapport sur l’entrisme de frères musulmans ?

Dov Maïmon. Nous l’avons mesuré avec mon équipe de chercheurs. Tout ce qui a été tenté n’a servi à rien. La quinzaine de plans nationaux mis en place dans le monde ont été inutiles. Au contraire, les choses vont de mal en pis. Ils n’ont fait ni le bon diagnostic, ni le bon traitement.

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Didier Long. Depuis l’assassinat de Samuel Paty en 2020, en France, les juifs comptent leurs morts et ils ont dans leur tête la liste qui s’allonge. Le problème n’est pas l’islam ni les musulmans. Mais ce rapport, qui semble découvrir l’archipélisation de la société française, la minimise. Il ne dit pas les choses. Le renseignement manque de moyens, la justice a du mal à reconnaître l’antisémitisme, peu de peines sont prononcées, les professeurs alertent mais l’Éducation nationale ne fait rien. Les idées nauséabondes tuent, en ce moment elles entrent en résonance et ce n’est que le début si on continue de produire des « rapports » non suivis d’effet.

Dov Maïmon. L’absence du président à la marche contre l’antisémitisme, en novembre 2023, illustre une volonté de préserver la paix sociale. Mais ce faisant, il favorise l’antisémitisme, qui est avant tout une atteinte contre la République.

Qu’avez-vous constaté au cours de votre enquête ?

Didier Long. Selon une note du renseignement intérieur que nous avons consultée, corroborant des chiffres d’un rapport de 2016 de l’essayiste Hakim El Karoui pour l’Institut Montaigne, auteur notamment de L’Islam, une religion française (Gallimard, 2018), 28 % de musulmans, en France, pratiquent un islam radical, prônant un sécessionnisme politique et social. Le renseignement évoque, à propos de ces 28 %, la menace de « prolifération terroriste, de rejet profond des valeurs républicaines, d’aggravation de tensions intercommunautaires, de repli communautaire ». Partout où l’État se retire, les Frères musulmans s’infiltrent, dans le soutien scolaire, les clubs sportifs, de prévention. Le Millî Görüs, la confédération islamique liée à la Turquie – contrôle 70 mosquées en France. Elle rejette les valeurs laïques et républicaines, cherche à islamiser la société. Comme les Frères musulmans, ils sont antisémites, in fine.

Des représentants du culte musulman ont appelé à ne pas faire d’amalgame et Jean-Luc Mélenchon évoque un rapport « islamophobe »…

Didier Long. Cette rhétorique est utilisée elle-même, dès le départ, par les Frères musulmans pour dénoncer une hostilité de l’État, laïc, contre les musulmans. La France insoumise a de son côté fait le calcul qui lui a manqué 450 000 voix pour être au second tour de la présidentielle de 2022 et compte sur celles des musulmans pour se qualifier. Le parti cherche à faire basculer le centre de gravité à l’extrême gauche. Non sans succès. De nombreux maires que nous avons rencontrés nous ont confié que le combat politique est perdu et qu’ils ne peuvent plus se passer des islamistes.

Dov Maïmon. A gauche, deux visions s’opposaient : celle de antitotalitarisme et le courant tiers-mondiste qui considère l’islamisme comme un partenaire. Ce dernier l’a emporté. Quand le drapeau qui unit devient celui de la Palestine, les juifs n’ont plus leur place à gauche.

« 34 % des électeurs du RN sensibles aux thèses antisémites »

Et si un candidat de l’extrême droite gagnait la présidentielle ?

Didier Long. Une étude de l’Ifop a montré que 30 % des juifs de France se disaient prêts à voter pour Éric Zemmour. Et il y a de fortes chances pour qu’ils votent pour un candidat du Rassemblement national en 2027. Rien n’indique que Marine Le Pen soit antisémite aujourd’hui. Un basculement s’est opéré avec elle, mais 34 % des partisans du parti restent sensibles aux thèses antisémites. Cela repousse une partie de l’électorat. Et en cas de victoire du RN, le risque d’émeutes, et d’actes antisémites, est redouté. Et la priorité du parti serait alors de négocier la paix, la sécurité des juifs passerait certainement au second plan.

Dans ce contexte, à combien évaluez-vous le nombre de juifs français ayant fui à l’étranger ?

Dov Maïmon. Depuis 2000 environ entre 60 000 et 80 000 juifs ont quitté la France ou se sont évaporés, n’ayant plus aucun lien avec les institutions juives. Environ 20 % ont quitté le pays en 25 ans, 60 % vers Israël, 40 % vers les États-Unis et le Canada. Pour chaque cas de départ en Israël, il y a une conjonction de facteurs répulsifs et attractifs. Voulez-vous garder les juifs de France ? C’est la question que nous posons à Emmanuel Macron. Car la façon dont l’État gère la situation est problématique. Il serait possible de remettre les choses en place, avec un plan, et la tolérance zéro.

Accés Ouest France

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