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« Quand ça va mal pour les Juifs, toute la société est en danger » Dov maimon et Didier Long dans Valeurs Actuelles

Valentin Gaure

Publié le 26 mai 2025 à 7h00 Mis à jour le 23 mai 2025 à 15h26

Valeurs actuelles. Pourriez-vous vous présenter brièvement l’un et l’autre ?

Dov Maïmon. Je suis né à Paris. À l’âge de 18 ans, j’ai quitté la France avec un objectif clair : mettre fin à deux mille ans d’errance et m’inscrire dans le grand projet du peuple juif, celui du retour sur sa terre. En Israël, j’ai entrepris des études d’ingénieur en agriculture, animé par un principe simple : je suis Juif, et rien de ce qui est humain ne m’est étranger. Mon désir de contribuer à un monde meilleur m’a conduit à travailler en Afrique, au Népal, et dans d’autres régions en développement. Par la suite, je suis revenu en France pour intégrer une école de commerce, avant de poursuivre une carrière internationale à la Générale des Eaux, d’abord au Canada puis en Angleterre.

Je suis rentré en Israël au moment de la première guerre du Golfe, avec l’ambition de participer à l’essor de la high-tech en fondant des start-ups innovantes. En 1995, l’assassinat d’Yitzhak Rabin a marqué un tournant décisif. J’ai alors compris qu’il fallait agir sur un autre plan : celui de l’humain. Convaincu de l’importance du dialogue entre juifs et musulmans, je me suis engagé dans des initiatives de rapprochement et de réflexion, notamment autour des accords d’Abraham. Aujourd’hui, je siège dans plusieurs commissions gouvernementales en Israël. Mon engagement reste double : profondément enraciné dans l’avenir d’Israël, mais aussi attentif à la situation des juifs en France. Les valeurs de la République française me sont consubstantielles, et je suis profondément préoccupé par la dégradation de la vie juive dans ce pays. Mon père était rabbin à Montreuil. À l’époque, nous vivions côte à côte avec les musulmans, dans un esprit de respect mutuel.

Didier Long. J’ai commencé ma vie professionnelle comme ouvrier chez Michelin, à Clermont-Ferrand. À l’âge de 16 ans, je me suis converti au christianisme, ce qui m’a conduit à entrer au monastère de la Pierre-qui-Vire. C’est là que j’ai rencontré des religieux passionnés par le dialogue avec la tradition juive, une ouverture qui a profondément marqué mon parcours spirituel. Plus tard, un coup de foudre amoureux m’a conduit à quitter la vie monastique et à être réduit à l’état laïque. C’est en 2010, bien des années plus tard, que j’ai découvert mes origines juives, en Corse. Ma grand-mère, fervente catholique vivant à Bastia, m’envoyait des cédrats au monastère… Ce qui est une coutume que pratiquaient les juifs de la synagogue située en bas de chez nous.

Pour moi, le christianisme et le judaïsme ne sont pas en opposition. Ce sont deux religions soeurs, porteuses d’un dialogue millénaire. Ma rencontre avec Dov a marqué une nouvelle étape. Ensemble, nous avons entrepris une exploration de la « France profonde », à la rencontre des réalités souvent ignorées ou mal comprises. Nous ne sommes pas des extrémistes. Nous sommes des universitaires, soucieux de vérité. Et ce que nous avons observé sur le terrain, notamment en matière d’antisémitisme, ne peut être ignoré ni relativisé. Nous aurions préféré ne jamais écrire ce livre. Mais face à une pareille réalité, le silence n’est pas une option.

Le titre de votre ouvrage est extrêmement alarmant. Pensez-vous que la persistance de la vie juive en France soit menacée à échéance d’une ou deux générations ?

Didier Long. Nous ne sommes pas désespérés. Mais si rien n’est fait, il n’y aura plus de juifs en France à horizon 2050. Le récent rapport sur les Frères musulmans est très bien, mais ce n’est rien par rapport à ce que nous avons vu durant notre enquête !

Dov Maïmon. Nous observons avec attention les dynamiques à l’oeuvre dans la sphère islamique. Nous savons ce qui se dit en privé, en arabe, dans les caves. Et ce que nous constatons, c’est une stratégie d’entrisme bien rodée, répliquée dans différents contextes.

Il n’est pas anodin que des pays comme l’Égypte, l’Arabie saoudite, la Jordanie, la Russie, et plus récemment l’Autriche, aient pris des mesures d’interdiction à l’encontre des Frères musulmans. Ces États ne sont pas idiots !

Il est important de se rappeler cette phrase menaçante de Yasser Arafat : « Après samedi, dimanche. » Cela signifiait qu’après les juifs viendrait le tour des chrétiens.

Il est important de se rappeler cette phrase menaçante de Yasser Arafat : « Après samedi, dimanche. » Cela signifiait qu’après les juifs viendrait le tour des chrétiens. Et c’est ce que l’on observe aujourd’hui dans certains pays du Proche-Orient, comme le Liban, où la présence chrétienne est menacée. Nous savons comment ces mouvances opèrent.

Vous revenez longuement sur le cas emblématique de Sarcelles, dans le Val-d-Oise, où vit depuis longtemps une communauté juive aujourd’hui menacée par la sphère islamique.

Sarcelles est aujourd’hui, à bien des égards, le pavillon témoin de l’entrisme islamiste, en particulier de l’influence progressive des Frères musulmans. Nous avons mené une enquête approfondie, en interrogeant des responsables politiques, des experts du renseignement et des membres de la communauté juive locale.

À Sarcelles, la situation a radicalement changé. Il n’est pas rare que le français ait disparu des échanges dans la rue. Le climat sécuritaire, lui, s’est tendu depuis longtemps : en 2012, le gang de Torcy attaquait une épicerie juive à la grenade. En 2014, des émeutes visaient la synagogue. Mais ce temps de la violence frontale a laissé place à une stratégie plus subtile.

Après l’échec des salafistes à fédérer durablement, c’est le mouvement Milli Görüs qui a patiemment tissé sa toile à Sarcelles.

Après l’échec des salafistes à fédérer durablement, c’est le mouvement Milli Görüs qui a patiemment tissé sa toile à Sarcelles. Il a su occuper le vide laissé par l’État en développant soutien scolaire, clubs sportifs, activités pour les femmes… Un travail d’ancrage social méthodique. Dans ce contexte, la présence d’un député LFI local vient compléter un tableau déjà préoccupant. Fin novembre, une opticienne a été violemment agressée. La communauté juive a parfaitement compris le message.

Mais désormais, ces groupes n’ont même plus besoin de recourir à la violence : ils avancent en costume-cravate, déposent des fleurs dans les synagogues lors des fêtes, et cultivent une image lisse. Pourtant, derrière cette façade se cache un double agenda assumé, comme le montre le positionnement politique du Milli Görüs en Europe. Leur influence ne se limite pas à Sarcelles : ils sont bien implantés à Strasbourg, progressent à Paris, sont centraux en Allemagne. Dans ces conditions, il faut poser une question simple mais cruciale : de quoi parle-t-on quand on évoque le « vivre ensemble » ? Parlons-nous des valeurs républicaines, ou de leur dilution dans un « frérisme » déguisé ? Aujourd’hui, des élus rapportent qu’un maire de gauche de la petite ceinture parisienne ne peut être élu sans pactiser avec certains réseaux d’influence.

Vous regrettez la très grande difficulté, voire l’impossibilité, de réaliser en France des statistiques ethniques. Considérez-vous qu’il faille faire évoluer la loi ?

Didier Long. On a cassé le thermomètre. La réalité, c’est qu’il y a en France dix millions de gens qui mangent de la nourriture halal, dont sept millions de musulmans. Et comme 80 % des musulmans mangent halal, il y a donc neuf millions de musulmans. 28 % des musulmans sont radicalisés et ne veulent pas des valeurs de la France. 37 % des musulmans de France ont, selon l’Ifop, une bonne opinion des Frères musulmans. C’est un phénomène massif. En face, il les 72 % de musulmans qui travaillent, prennent le RER B chaque matin, respectent les valeurs de la République. Ils aiment la France et ne veulent pas de l’islam politique qui a tout détruit dans le monde arabe, du Liban à l’Algérie.

Vous reprenez les mots de Roger Gicquel : « La France a peur. » La réaction de l’État face à l’explosion de l’antisémitisme vous paraît-elle insuffisante ?

Didier Long. En matière de lutte contre l’antisémitisme, l’encéphalogramme est plat. Le discours des Mureaux date d’octobre 2020. La loi contre le séparatisme a été adoptée en 2021. Et depuis ? Qu’a-t-on réellement fait ? Rien, ou presque. Prenez le rapport sur les Frères musulmans : il est arrivé sur le bureau du président de la République il y a huit mois. Huit mois de silence. Aucune suite, aucune annonce publique. Comment expliquer un tel déni ?
Et quand on lit ce rapport, que découvre-t-on ? Qu’une reconnaissance de l’État palestinien par la France, aux côtés d’Israël, pourrait — je cite — « apaiser les frustrations de la communauté musulmane ». Franchement, on rêve. Ce genre de formulation révèle un désalignement profond entre les discours officiels sur la République et les calculs politiques. Apaiser la frustration d’une minorité en jouant sur un conflit international complexe ne peut en aucun cas constituer une politique intérieure — encore moins une réponse à la montée de l’antisémitisme.

Au début du livre, vous rappelez l’histoire de la relation des Juifs de France avec l’État, en notant plusieurs moments de crispation. Vous avez souhaité réinscrire cette histoire dans le temps long ?

Didier Long. Il faut rappeler que l’histoire des Juifs de France démarre bien avant Clovis, que ce soit à Rouen ou dans la vallée du Rhône.

Dov Maïmon. Il y a eu, au fil de l’histoire récente, des moments de rupture majeurs pour les Juifs de France. Des paroles, des décisions politiques, qui ont marqué un basculement. La phrase du général de Gaulle – « les Juifs, un peuple sûr de lui-même et dominateur » – a laissé une trace profonde. Elle a changé quelque chose dans le regard que la République portait sur ses citoyens juifs. Le regroupement familial instauré sous Giscard d’Estaing a également modifié la donne, en introduisant, sans accompagnement, de nouveaux équilibres démographiques. Mais c’est surtout après l’attentat de la rue Copernic, en 1980, que la fracture est devenue flagrante. Le Premier ministre de l’époque, Raymond Barre, déclare alors : « un attentat qui voulait frapper les Israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents ». Que faut-il comprendre ? Que les Juifs ne sont ni innocents… ni français ? Ce type de propos a nourri un sentiment d’abandon, de marginalisation.

Peu à peu, ceux qui étaient autrefois “heureux comme Dieu en France”, selon l’expression consacrée, ont compris que quelque chose s’était dégradé. Et que dire de François Mitterrand, tiraillé entre une alliance avec le Parti communiste et la montée calculée du Front national ? Où était la vision républicaine ? Où était le courage politique ? Ces renoncements ne relèvent pas seulement de l’aveuglement : ils sont une forme d’irresponsabilité historique. Et cela continue aujourd’hui. Emmanuel Macron, lui aussi, privilégie l’apaisement à court terme, par peur des émeutes dans les quartiers. Mais apaiser, à quel prix ? Les habitants que nous rencontrons dans les quartiers populaires nous le disent sans détour : « On a compris. On ne nous protégera pas. » Ce désenchantement est le signe d’un affaissement. Et si rien ne change, il deviendra irréversible.

Un commissaire de police de Seine-Saint-Denis interrogé dans votre ouvrage vous fait cette suggestion qui fait froid dans le dos : « L’État ne peut pas tout. Organisez-vous. »

Didier Long. Absolument. Autre exemple en 2023 : un commissaire proche des renseignements territoriaux nous confiait que la police maîtrisait la situation dans les banlieues. Le lendemain, il y avait 500 départs de feux. C’était le déclenchement des émeutes. Nous savons que la situation en France peut se dégrader très brutalement.

Dov Maïmon. Quand je vais rencontrer des communautés juives en France, je suis obligé de leur conseiller de se constituer une petite valise de maternité, comme pour aller accoucher, avec de l’argent liquide, un passeport… Il faut surveiller que le plein d’essence soit fait. Nous en sommes là. Nous savons que la situation en France peut se dégrader très brutalement. Toutefois, nous voulons dire que tout n’est pas perdu. On peut inverser la tendance avec une vraie volonté politique.

Vous terminez votre ouvrage par une métaphore, en comparant les Français de confession juive au « canari dans la mine » de la République.

Didier Long. Quand les choses vont mal pour les Juifs, c’est que la société tout entière va mal. Ce n’est pas une coïncidence, c’est un indicateur. Pourquoi emmenait-on autrefois un canari dans les mines de charbon ? Parce que le canari, plus sensible que l’homme aux émanations toxiques, était un signal d’alerte. Lorsqu’il cessait de chanter, ou mourait, cela voulait dire qu’une explosion allait se produire. Aujourd’hui, en France, le canari a cessé de chanter. Tout le monde le sait.

La fin des Juifs de France? de Didier Long et Dov Maïmon, Le Cherche Midi, 208 pages, 19 € 50.

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